Source : APM

 

PARIS, 5 février 2009 (APM) - Les Centres hospitaliers de Roanne (Loire) et de Gap (Hautes-Alpes) vont devoir suspendre leur activité de radiothérapie faute de radiophysicien, a-t-on appris jeudi auprès des établissements concernés

Après la première suspension prononcée par l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) pour le Centre de radiothérapie de Blois (Loir-et-Cher) courant janvier (cf dépêche APM VBMAK001) suite au départ de son unique radiophysicien, les fermetures provisoires de services se multiplient et posent de manière criante le problème des ressources humaines en radiophysique.

En juillet 2008, à l'approche des vacances estivales, une petite dizaine de centres s'étaient retrouvés dans une situation très critique en termes de personnel, mais des conventions de partenariat avaient permis d'éviter les fermetures sauf au CH du Puy-en-Velay (Haute-Loire) qui avait dû suspendre son activité à la demande de la ministre de la santé.

Au CH de Roanne, "nous ne prenons plus en traitement de nouveaux patients depuis 15 jours", a indiqué à l'APM le directeur de l'hôpital, André-Gwenaël Pors. Les traitements déjà engagés sont assumés

Le directeur a pris cette décision de lui-même après avis du chef de service, puisque le service de radiothérapie qui compte deux accélérateurs va faire face au départ de ses deux radiophysiciens début mars et qu'il n'a pas encore réussi à en attirer d'autres.

De plus, il a été constaté lors d'une réunion à l'Agence régionale de l'hospitalisation (ARH) Rhône-Alpes que ni le Centre Léon Bérard de Lyon, ni l'Institut de Cancérologie de la Loire (ICL) de Saint-Etienne, ne pouvaient aider Roanne en mettant à disposition le personnel nécessaire pendant la phase de recrutement.

André-Gwenaël Pors a placé quatre cabinets de recrutement en parallèle et espère trouver du personnel dans les trois mois pour limiter la suspension d'activité à six mois.

Pour un bassin de 200.000 habitants, le CH de Roanne dispose de deux accélérateurs très récents (renouvelés en 2004 et 2007) et d'un scanner dédié. Il enregistre une bonne activité avec une file active de 600 patients par an et 50 à 55 nouveaux patients par semaine.

Le médecin chef de service est le seul radiothérapeute en poste. Le service employait un médecin étranger depuis deux ans, mais il est parti après avoir fait reconnaître son diplôme libanais. Pendant les congés du chef de service, il est fait appel à un médecin intérimaire, mais aucun radiophysicien intérimaire n'est disponible.

Les patients sont orientés vers l'ICL de Saint-Etienne pour la moitié à deux tiers d'entre eux, les autres allant sur Lyon, au Centre Léon Bérard ou au CH Lyon Sud, centres situés à une heure, voire deux heures de transport de Roanne, pour des traitements qui ont lieu cinq jours par semaine pendant cinq à six semaines.

A Gap, au CH des Alpes du Sud, le service de radiothérapie vient d'apprendre qu'il va subir une suspension temporaire d'activité à partir de fin février, "dans l'attente de confirmer le recrutement d'un radiophysicien pour lequel des entretiens sont en cours", a indiqué à l'APM sa directrice Solange Zimmermann. L'établissement avait déjà un poste vacant et la seule radiophysicienne en place part fin février.

Plus aucun nouveau patient n'est pris en traitement. Une réunion devait avoir lieu jeudi pour organiser la réorientation des patients vers Marseille, Aix-en-Provence et Grenoble, situés à 1h30 ou 2 heures de route.

La décision de suspension d'activité a été signée pour Gap, a précisé jeudi à l'APM la porte parole de l'ASN. Une note d'information était en préparation. Pour Roanne, "c'est en cours", a-t-elle ajouté. "La situation est préoccupante au niveau national", a-t-elle commenté.

CHAISES MUSICALES

"C'est un jeu de chaises musicales. Comme il n'existe pas de radiophysiciens sur le marché, il faut les débaucher ailleurs", a indiqué la directrice du CH de Gap. Cela ne fait que déporter le problème. Les deux radiophysiciens de Roanne vont au CH du Puy-en-Velay qui en cherche depuis l'été 2008.

Sollicitée au sujet du CH du Puy, l'ARH d'Auvergne indique que le dossier est en cours de finalisation et qu'une décision devrait être actée fin février, mais qu'il est prématuré de donner une date de réouverture du service de radiothérapie.

Pour tenter de résoudre la situation à plus long terme, le directeur du CH de Roanne souhaite appuyer l'idée, lors d'un CA extraordinaire prévu vendredi soir, de former un groupement de coopération sanitaire (GCS) avec le CH du Puy-en-Velay et l'ICL de Saint-Etienne, qui prend actuellement en charge les patients du Puy. Ce GCS serait piloté par l'ICL et gérerait les traitements sur les trois sites.

"Nous allons proposer cette solution pour permettre une offre de soins de proximité et de bonne qualité", explique-t-il. Le CH de Roanne bénéficie de soutiens politiques. Le maire a fait voter une motion de soutien et le député Yves Nicolin (Loire, UMP), qui a sollicité un rendez-vous auprès de la ministre de la santé.

En plus du désagrément occasionné aux patients, la suspension d'activité entraîne une perte d'activité pour son établissement qui aura des conséquences sur le dispositif d'autorisation pour la cancérologie actuellement en cours (les autorisations seront accordées notamment sur le respect des seuils d'activité), et sur la tarification à l'activité (T2A).

"En année pleine, la radiothérapie 'rapporte' à l'hôpital 2,4 millions d'euros. Cette situation va accentuer le déficit de l'établissement", note le directeur. En outre, la suspension a aussi un impact sur l'activité de chimiothérapie car en cas de radiochimiothérapie concomitante, les patients font les deux traitements dans le même établissement.

L'ASN a prévenu en 2008 les autorités qu'il faudrait 5 à 10 ans pour doter correctement en personnel les centres, surtout pour les radiophysiciens, et qu'en attendant, un certain nombre de centres ne seraient plus en mesure de respecter la réglementation.

"Il existe un déficit connu de personnel et comme il faut deux ans au minimum pour en former, on va traverser une période difficile", reconnaît Thierry Sarrazin (Centre Oscar Lambret, Lille), président de la Société française de physique médicale (SFBM).

Même si le nombre de physiciens en formation augmente, cela ne suffira pas, ajoute-t-il. "Il y a 10 ans, sur 25 radiophysiciens formés, 95% allaient vers la radiothérapie. Dans la dernière promotion de fin 2008, sur 55 personnes formées, seulement 28 ont pris cette orientation", regrette le radiophysicien. Les autres vont en médecine nucléaire, radiologie, dans l'industrie ou en recherche.

L'Espagne et le Royaume-Uni ont vécu cette situation avant la France. Quand il y a des accidents, cela se répercute sur les orientations car cela fait peur.

La situation va inévitablement pousser à une certaine concentration des centres. Il reste encore une quarantaine d'établissements à un seul accélérateur et cela n'est plus possible avec la radiothérapie d'aujourd'hui, estime le président de la SFBM.

"Avec les procédures de contrôle qu'exigent les nouvelles machines, un radiophysicien ne peut plus travailler seul de nos jours", déclare-t-il, citant Epinal et Toulouse où il n'y en avait qu'un. De plus, Grenoble et Lyon qui ont aussi eu à déplorer un accident, étaient également en sous-effectifs.

"C'est comme pour les maternités, c'est toujours mieux pour les patients de se faire soigner près de chez eux tant qu'il n'y a pas d'accident, mais il faut faire passer la sécurité avant. Quand il n'y a qu'une machine, on ne peut pas continuer les traitements si elle tombe en panne. De plus, un centre à une machine ne peut pas assumer les investissements nécessaires à la radiothérapie moderne", explique-t-il.