Source : APM

 

PARIS, 8 avril 2010 (APM) - L'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) s'est déclarée mercredi très préoccupée par la situation de nombreux centres de radiothérapie en France, fragilisés par le manque de radiophysiciens.

L'ASN a présenté son rapport sur l'état de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en France en 2009 à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), la séance étant ouverte à la presse.

Le directeur général de l'ASN, Jean-Christophe Niel, a mis en avant les "progrès" réalisés en radiothérapie en 2009 par rapport aux années précédentes, avec notamment une sensibilisation des professionnels sur la sécurité de ces soins, qui s'est traduite par une hausse du nombre d'événements indésirables déclarés à l'ASN depuis la mise en place de la procédure en 2007 et une participation de 350 professionnels de santé, industriels, institutionnels et patients de 34 pays au colloque organisé début décembre 2009 par l'ASN.

Cependant, la situation reste "hétérogène" dans les centres de radiothérapie français, a-t-il regretté.

En 2009, l'ASN a suspendu l'activité de six centres, en particulier en raison d'un nombre insuffisant de radiophysiciens et de manipulateurs. Elle a autorisé à ce jour la reprise de l'activité dans quatre de ces centres, à Blois, au centre hospitalier (CH) des Alpes-du-Sud (Gap/Sisteron), au CH de Roanne (Loire) et à Nevers, a-t-il précisé à l'APM.

ACTIVITE TOUJOURS SUSPENDUE POUR DEUX CENTRES

L'activité du centre Iridis à Croix (Nord) reste suspendue depuis la mi-juillet 2009 et celle du centre hospitalier intercommunal (CHI) de Poissy-Saint-Germain-en-Laye (Yvelines) depuis la fin octobre 2009. La reprise n'est pas à l'ordre du jour pour le centre de Croix où le radiophysicien et le radiothérapeute sont partis. Le CHI de Poissy-Saint-Germain-en-Laye doit également résoudre des problèmes de qualité d'imagerie portale, a expliqué à l'APM Michel Bourguignon, l'un des cinq commissaires de l'ASN.

"Cinq ans après l'accident d'Epinal, le rythme d'accroissement des effectifs de radiophysiciens est encore insuffisant". Certes, le nombre de physiciens médicaux formés progresse, avec une promotion de 77 étudiants cette année et de 100 prévus l'année prochaine. Mais 25% à 30% d'entre eux ne se tournent pas vers la radiothérapie mais vers l'imagerie médicale où les besoins sont également "immenses". On ne progresse ainsi que d'une cinquantaine de radiophysiciens au maximum par an pour la radiothérapie, a ajouté Michel Bourguignon.

Il a également déploré le fait qu'il n'y ait toujours pas en France de filière universitaire de formation pour les radiophysiciens contrairement à de grands pays voisins, ni de statut à la hauteur des enjeux. Il a précisé que la formation théorique actuelle était "excellente", mais que la formation pratique dans les hôpitaux posait problème, avec une absence d'enseignants et d'accueil dans les établissements de santé.

Une trentaine de centres de radiothérapie sur les 180 existant en France pourraient ainsi ne pas atteindre les critères fixés par l'Institut national du cancer (Inca) pour fin 2011-début 2012, à savoir la présence permanente de deux radiophysiciens par centre doté de deux accélérateurs, a souligné Michel Bourguignon.

Le commissaire de l'ASN a d'ailleurs critiqué ces critères qui "ne tiennent pas compte des besoins réels de l'installation". Il faudrait probablement trois physiciens par centre pour couvrir toutes les plages horaires qui s'étalent de 7 heures à 22-23 heures et tenir compte des congés, des formations et des recettes sur les nouvelles machines. Ainsi par exemple, une recette sur une nouvelle machine nécessite un physicien à temps plein pendant un mois. Il faudrait même plus de trois physiciens par centre en présence de plus de deux accélérateurs par centre, a-t-il expliqué.

DES MESURES TRANSITOIRES "DETOURNEES PAR CERTAINS CENTRES"

Michel Bourguignon a également dénoncé le fait que les mesures transitoires fixées par le ministère de la santé pour faire face à la pénurie de radiophysiciens soient "détournées par certains centres", avec un adossement à de grands centres de radiothérapie, qui est "presque virtuel en pratique", et avec "un soutien partiel de quelques heures".

Il a cité le cas d'un contrat d'adossement du CH du Puy-en-Velay à l'Institut de cancérologie de la Loire (ICL) à Saint-Etienne, dans le cadre d'un groupement de coopération sanitaire (GCS), qui a été signé entre les deux établissements de santé. Cependant, "en pratique, cela ne fonctionne pas bien", puisqu'un nouvel accélérateur a été acheté au Puy-en-Velay d'une marque différente de celle adoptée à Saint-Etienne, contrairement aux demandes des physiciens de Saint-Etienne pour travailler sur une machine qu'ils connaissent.

Michel Bourguignon a également rapporté le cas d'un centre qui s'est adossé à cinq services différents, ce qui a abouti à la présence d'un radiophysicien différent par jour mais sans pour autant une couverture complète de toutes les plages horaires.

En matière de radiothérapie, l'ASN demande enfin que des travaux de recherche soient encouragés et financés sur la radiosensibilité individuelle, autrement dit les effets indésirables générés par la radiothérapie sur certaines personnes sensibles (5% des patients, soient 10.000 personnes en France) en dehors de tout incident ou accident, ainsi que sur le traitement de ces complications par greffes de cellules souches mésenchymateuses, qui pourraient être autologues dans la majorité des cas.

Le président de l'ASN, André-Claude Lacoste, a signalé la création en cours d'un club des responsables des autorités de radioprotection en Europe (Health of European Radiation Control Authorities -HERCA), qui a par exemple déjà contacté les fabricants de matériels de radiothérapie pour les inciter à diminuer les doses de rayonnements ionisants.