Source : APM

 

NANCY, 9 septembre 2008 (APM) - La Chambre régionale des comptes de Lorraine pointe, dans un rapport sur la gestion du centre hospitalier Jean Monnet d'Epinal de 2000 à 2007 rendu public, que le service de radiothérapie fonctionnait de façon "quasi-autarcique", ce qui explique en partie l'absence de contrôle de la direction sur son fonctionnement.

 

La Chambre régionale des comptes (CRC) met en cause les insuffisances de la direction de l'établissement, à l'exception de la directrice en fonction de janvier 2001 à janvier 2007, Dominique Cappelli, qui a tenté, mais sans succès, de changer la situation. La CRC souligne aussi "un soutien manifestement insuffisant des autorités de tutelle locale et centrale", notamment de l'agence régionale de l'hospitalisation (ARH).

 

Les deux médecins spécialisés oncologues-radiothérapeutes compétents en cancérologie ont fait fonctionner le service de radiothérapie "de façon autonome, quasi-autarcique", contrôlant entièrement la gestion administrative des patients et leur activité, publique et libérale. Les deux praticiens, qui ont été tour à tour chefs de service (l'un de radiothérapie de 1978 à 2004 et l'autre de l'oncologie médicale de 1984 à 2004, puis de la radiothérapie de 2004 à 2006) s'étaient constitués une place à part dans l'hôpital, explique la chambre.

 

Dans ses tentatives de changement, Dominique Cappelli s'est heurtée à "la force des habitudes acquises depuis l'origine du service et sans doute confortées par l'indépendance des médecins responsables, combinées à l'abstention sur le sujet des directions successives".

 

Le service de radiothérapie maîtrisait l'ensemble des données administratives, sans aucune délégation officielle de la direction de l'hôpital: "les deux secrétaires médicales du service se chargeaient des formalités d'admission" sans aucun contrôle administratif et "ne dépendaient que des seuls médecins".

 

De même, l'information médicale était "totalement dépendante" du service de radiothérapie et le département d'information médicale (DIM) "reconnaît n'avoir exercé aucun contrôle (...) au motif de la complexité des actes (nombre d'incidences)".

 

"A aucun moment, l'administration de l'hôpital n'a été en mesure, au cours de l'instruction, de présenter une activité mesurée, sous sa responsabilité, du service de radiothérapie", souligne la CRC.

 

La CRC souligne ainsi que "lors de la déclaration aux autorités de tutelle relative aux 23 patients surirradiés le 16 septembre 2005, la directrice ne connaissait pas les identités desdits patients". La liste a été transmise le 29 septembre 2005 par le radiophysicien "sans adresse, ni coordonnées, éléments transmis au fur et à mesure des déclarations de complications".

 

La directrice, Dominique Cappelli, a tenté de corriger cette indépendance en installant mi-2002 un guichet rattaché au service central d'admissions dans le hall de la radiothérapie mais elle s'est heurtée à "l'hostilité des médecins radiothérapeutes". Ce guichet n'a commencé à fonctionner que depuis janvier 2007.

 

Les deux médecins géraient de façon autarcique le personnel non médical, et notamment le seul radiophysicien du service, qui cumulait jusqu'en septembre 2003 un emploi à temps plein à l'hôpital et une prestation sur la scintigraphie dans la clinique privée Sogecler. La situation a été régularisée au plan administratif par une convention entre les deux établissements, limitant à 20 heures par mois son intervention dans la clinique.

 

La CRC note cependant que "cette pratique privait le service de radiothérapie de l'hôpital du radiophysicien à des moments où les installations de radiothérapie du CH continuaient de fonctionner, ce qui est contraire au règlement qui interdit d'irradier des malades en l'absence d'un radiophysicien". En 2005, le rapport médical du service souligne l'illégalité de la situation, en soulignant que "les autorités de tutelle persistent à ignorer cette situation".

 

En décembre 2003, la direction de l'hôpital Jean Monnet a contacté le Centre anti-cancéreux Alexis Vautrin de Nancy pour envisager un temps partagé en radiophysique. Le directeur du CAC a répondu favorablement en proposant à l'ARH la création d'un pool de radiophysique régional pour faciliter la gestion des absences. "Aucune suite ne semble avoir été donnée à cette demande", pointe la CRC.

 

La CRC cite la réponse de Dominique Cappelli qui souligne qu'elle avait cherché des solutions à court ou moyen terme avec le CAC de Nancy "sans que les propositions formulées ne reçoivent une quelconque validation de l'ARH".

 

Le rapport note aussi que les deux chefs de service successifs ont très peu participé aux réunions de la commission médicale d'établissement (CME) (deux présences sur 31 réunions de 2002 à 2006), et à chaque fois à la demande de la direction pour assurer le quorum.

 

Sur l'équipement du service, la CRC pointe que le réseau informatique de gestion des paramètres, développé localement par le physicien qui en assurait seul la maintenance, n'avait "jamais été soumis à vérification". Elle note une "absence de stratégie planifiée de mise à niveau des équipements ou de leur renouvellement" et une absence de "communication constructive" entre le service et la direction sur ce sujet.

 

ACTIVITE LIBERALE NON CONTROLEE

 

La CRC souligne aussi que la direction de l'établissement n'avait aucun contrôle sur l'activité libérale des praticiens hospitaliers et que la commission de l'activité libérale, qui se réunissait rarement (quatre réunions entre 2000 et 2006), était justement présidée par le chef du service de radiothérapie.

 

Le rapport met en lumière que "la plupart des praticiens exerçant une activité libérale à l'hôpital dépassent les limites fixées par la loi". "Dans presque tous les cas", le nombre de consultations ou d'actes effectuées à titre libéral "dépasse, et souvent très largement, le nombre d'actes ou consultations effectués au titre de l'activité publique".

 

Or, remarque la CRC, l'ARH n'a donné aucune suite aux manquements constatés. Le sujet a notamment été abordé à plusieurs reprises en conseil d'administration, les représentants des usagers se plaignant d'un manque d'information des patients sur les tarifs pratiqués.

 

Comme la caisse primaire d'assurance maladie des Vosges ne fournissait pas systématiquement à l'hôpital des données du système national interrégime (SNIR), ce qui est "anormal", et la commission d'activité libérale ne faisait pas de suivi, aucun contrôle n'a jamais été opéré par l'établissement sur les déclarations de redevance faites par les praticiens percevant directement ces honoraires et les honoraires réellement perçus.

 

S'agissant de l'activité libérale dans le service de radiothérapie, la direction de l'établissement n'a pu fournir que "des données issues des registres tenus manuellement par le service, sous la seule responsabilité des médecins radiothérapeutes", et jamais une mesure issue de l'administration. "L'instruction a montré que la direction de l'établissement n'avait ni la maîtrise de l'activité privée du service, ni les moyens d'en mesurer son véritable niveau".

 

Par ailleurs, les deux radiothérapeutes percevaient directement leurs honoraires d'activité libérale et "aucun contrôle n'a jamais été opéré sur la correspondance des redevances versées avec les honoraires réellement perçus".

 

La publication de ce rapport vient confirmer les conclusions d'autres rapports, dont un de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) et de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), sur les différents dysfonctionnements du service de radiothérapie.

 

Elle intervient alors qu'une instruction est en cours au pôle santé publique du tribunal de grande instance (TGI) de Paris sur les surirradiations intervenues sur plus de 5.000 patients au centre hospitalier d'Epinal sur plusieurs annnées.

 

Sept mises en examen ont été prononcées début juin par les juges dans le cadre de cette instruction: celles des deux anciens radiothérapeutes et radiophysicien de l'hôpital, de l'ancienne directrice de l'établissement, de l'ancienne directrice de la Ddass des Vosges et de l'ancien directeur d'ARH et celle de l'hôpital en tant que personne morale, rappelle-t-on (cf dépêches APM SNLF2005, APM SNLF2015, APM SNLF6005 et APM COLF6003).

 

Un mois plus tôt, la ministre de la santé Roselyne Bachelot avait pris des sanctions administratives à l'égard des deux radiothérapeutes et avait prononcé notamment la révocation de l'ancien chef de service qui a ensuite déposé un recours (cf dépêches APM SNLE6002 et APM SNLED002).