Source : Le monde (Emeline Cazi)

 

Titre : L’affaire des surirradies d’Epinal renvoyée devant le tribunal correctionnel : Les juges d’instruction retiennent les qualifications d’«homicides et blessures involontaires» et de «non-assistance à personne en danger». Ils dénoncent la passivité des autorités de tutelle

 

L’affaire des sur irradiés d’Epinal, qui avait entrainé le plus grave accident de radiothérapie jamais recensé en France, donnera bien lieu a un procès. Les juges d’instruction parisiens Anne-Marie Bellot et Pascal Gand, les mêmes qui instruisent l’affaire du Mediator  ont signé le 23 décembre 2011, une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel pour « blessures et homicides involontaires » ainsi que « non-assistance à personne en danger». En ces temps de scandales sanitaires en série, leur ordonnance prend une résonance particulière : il y est question de «négligence »,« d’imprudence de la part de médecins, mais également d’un manque de réactivité des autorités de tutelle, qui ne fut pas sans conséquence sur l’état de santé des victimes. Lorsque l’affaire des surirradiés d’Epinal éclate a l’automne 2006, la ministre de la sante de l’époque, Roselyne Bachelot, l’avait qualifiée de « catastrophe sanitaire. Près d’un demi-millier de personnes, tous des hommes, traités pour un cancer de la prostate entre 2001 et 2006, ont été victimes de surdosage. A l’époque, le centre de radiothérapie de l’hôpital d’Epinal accueille chaque année 700 nouveaux patients. En 2003, Jean-François Sztermer, alors chef de service, pousse pour passer à la technique dite de coin dynamique, qui réduit l’inconfort du malade et permet d’adapter le volume d’irradiation aux formes de la tumeur. Le procédé est mis en place en mai 2004, mais il ne vient à l’idée de personne de réunir l’ensemble du service pour expliquer que cette pratique nécessite de diminuer les dosages. 24 patients reçoivent des doses surévaluées à 20%, dont au moins cinq sont décédées d’une suite des surdoses. Quelque 400 autres malades recevront entre2001 et 2006 des doses supérieures à 8% suite a des erreurs de calculs des médecins.

 

«Fautes caractérisées»

 

Dans leur ordonnance de renvoi, les juges d’instruction se montrent plus sévères que le parquet a l’égard des deux radiothérapeutes, anciens chefs de service. «Ne pas s’être assurés de la sécurité de la nouvelle technique (…) en ne prévoyant au sein du service (…) aucune réflexion sur la sécurité (…) aucune formation  et «aucun protocole écrit pour la mise en œuvre d’une nouvelle technique de soins «constitue des fautes caractérisées d’imprudence et de négligence ».

Alors que le parquet ne souhaitait renvoyer les deux hommes, ainsi que le radiophysicien, que pour «non-assistance en danger», les juges d’instruction maintiennent la qualification supplémentaire d’«homicides et blessures involontaire». Les directrices de l’hôpital d’Epinal et de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (Ddass), le directeur de l’Agence régionale d’hospitalisation (ARH) de Lorraine ainsi que l’hôpital en tant que personne morale, ont poursuivis pour «non assistance à personne en danger».Comme en écho a d’autres dossiers récents, l’affaire des irradiés d’Epinal pointe également la défaillance des autorités sanitaires, lesquelles ne prendront conscience du drame qu’un an après les premières alertes. Avertis de complications chez certains de leurs patients en août 2005, les radiothérapeutes, qui évaluent à 23 le nombre de dossiers concernes par l’erreur, préviennent la directrice de l’hôpital mi-septembre. Lors d’une réunion organisée le5octobre avec les autorités de tutelle, il est convenu de convoquer tous les patients et de diriger «ceux présentant des complications (…) sur la directrice ».Mais cette décision restera lettre morte. Il faudra attendre juin 2006 qu’un médecin de l’ARH de Lorraine ayant eu vent d’accidents de radiothérapie à Lyon et Grenoble, s’aperçoive que rien n’a été vraiment fait pour ceux d’Epinal pour que les autorités de tutelle se réveillent. Or, en cas d’accident de radiothérapie, un dépistage précoce permet de limiter les dégâts. D’un cote, estiment les juges, les médecins auraient du «une fois le problème de surirradiation connu et les patients identifiés (…) informer les malades»– qui pour la plupart ont appris leur surirradiation par un autre patient ou par la presse–«et surtout de veiller à ce qu’ils bénéficient d’une assistance médicale appropriée».Les autorités de tutelle se sont renvoyées la balle. Les magistrats estiment ainsi que Dominique Cappelli, la directrice de l’hôpital avait «l’obligation légale de signalement et d’information des patients victimes de complications . Tout comme la Ddass. Mais cette dernière a considéré que c’était à l’Agence régionale d’hospitalisation de gérer ce dysfonctionnement. Laquelle «agira pendant onze mois comme si cet accident n’avait jamais eu lieu…