* Source : APM

 

PARIS, 6 mars 2007 (APM) - L'accident de radiothérapie survenu au centre hospitalier d'Epinal (Vosges) est marqué par des défaillances de tous les maillons de la chaîne sanitaire locale, affirment l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) et l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) dans un résumé de leur rapport dont APM a eu copie.

 

Entre le 6 mai 2004 et le 1er août 2005, 23 patients traités pour un cancer de la prostate ont été victimes d'un surdosage lors de leur irradiation, dont quatre sont aujourd'hui décédés.

 

Parmi les autres victimes, "aucune n'est indemne", soulignent l'Igas et l'ASN.

 

Au moins dix d'entre elles présentent une complication radique sévère "avec des symptômes à type de douleurs intenses, écoulements, hémorragies nécessitant des transfusions répétées, fistules pour la plupart, difficulté ou impossibilité à rester assis, se déplacer ou dormir". Ces patients souffrent en outre "d'une altération de l'état général, de dépression (...)" et "sont porteurs de colostomie et d'urétérostomie et ont besoin en permanence de poches, sondes et cathéters".

 

"Cet événement constitue le plus important accident impliquant les rayonnements ionisants ayant eu lieu en France", soulignent l'Igas et l'ASN dès le début du résumé de sept pages.

 

Cet accident a pour origine le changement, en mai 2004, du protocole de radiothérapie conformationnelle appliqué aux tumeurs de la prostate "afin de se servir plus largement des possibilités du logiciel de dosimétrie en place depuis 2000", expliquent-ils.

Le protocole "passe ainsi de l'utilisation de coins statiques à celle de coins dynamiques", ceux-ci ayant pour but de diminuer la dose de rayons reçue par les organes proches de la prostate.

 

Mais alors que ce changement suppose de modifier également le paramétrage assurant l'intensité d'irradiation, cette modification "ne sera pas faite pour certains malades". Et les "lignes de défense" qui auraient permis de vérifier la dose réellement reçue par le malade et de corriger ainsi l'erreur commise, ont été rendues inopérantes.

 

Outre plusieurs opérations qui n'ont pas été effectuées, comme la traçabilité des opérations ou l'écriture préalable du protocole, les manipulateurs n'ont disposé "d'aucun guide d'utilisation en français adapté à leur pratique quotidienne" et n'ont pas été formés correctement à la modification effectuée.

 

Les auteurs du rapport indiquent que deux démonstrations individuelles ont été effectuées, "l'une exacte, l'autre entachée d'erreur" et que les manipulateurs ont ensuite transmis l'information à des collègues qui ont à leur tour "reproduit fidèlement ce qu'ils avaient appris".

 

LES AUTORITES NATIONALES ALERTEES QU'EN JUILLET 2006

 

Les premiers symptômes du surdosage sont apparus à partir de janvier 2005.

 

A partir de mai 2005, cinq malades sont porteurs de lésions sévères. En juin, ils sont sept et se retrouvent à dix en août 2005, relate la mission.

 

C'est au cours de l'été 2005 que l'un des médecins radiothérapeutes et le radiophysicien retrouvent l'erreur de surdosage. Ils en font part à la directrice de l'hôpital, Dominique Capelli, le 15 septembre 2005, qui informe alors la Ddass et l'agence régionale de l'hospitalisation (ARH) dirigée à cette époque par Jacques Sans.

 

Une réunion est organisée le 5 octobre 2005 à la Ddass. Mais "les décisions prises ne donnent lieu à aucun document commun et sont interprétées différemment par les parties. L'absence de mise en place de tableau de bord ou de réunions de suivi ne permet pas de corriger les divergences ni de reconnaître le caractère inapproprié des mesures arrêtées".

 

"A ce stade", contrairement aux obligations de plusieurs articles du code de la santé publique, "les autorités nationales responsables (ministre de la santé, Afssaps, ASN, Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), préfet) ne sont pas alertées", soulignent les auteurs.

 

Ces autorités ne seront alertées "qu'en juillet 2006", précisent-ils.

 

DEFAILLANCES DANS L'INFORMATION ET LE SUIVI DES VICTIMES

 

L'Igas et l'ASN dénoncent également les défaillances dans l'information et le suivi médical des malades.

 

En effet, suite à la réunion d'octobre 2005, seuls sept malades sont informés du surdosage par la directrice de l'hôpital.

 

Parmi les 16 autres malades qui ne sont pas informés, trois l'ont été par un autre médecin que leur radiothérapeute, un autre l'a su par un tiers, un autre par la presse et quatre par la direction de l'hôpital "mais deux jours avant que la presse ne diffuse l'information en septembre 2006". "Un autre malade décédera en septembre 2006, avant d'être informé du surdosage".

 

L'Igas et l'ASN dénoncent également le manque de concertation dans l'organisation de l'assistance aux victimes au cours de la première année.

 

Ils soulignent aussi que le suivi médical des malades "se déroule au gré des circonstances".

 

Les méthodes de traitement qui sont appliquées aux malades "sont insuffisantes" pour des lésions aussi "délabrantes" que celles dont souffrent les victimes, déplorent-ils.

 

Prévenu en juillet 2006, l'IRSN a cherché depuis "à rattraper le temps perdu" et a analysé les dossiers médicaux et vu les patients pour proposer un protocole de traitement par greffes de cellules souches mésenchymateuses.

 

Globalement, "les différents maillons de la chaîne sanitaire qui doivent permettre d'éviter les crises ou de les gérer au mieux, ont tous successivement lâché", souligne la mission en mettant en cause les personnels hospitaliers qui ont minimisé les effets de l'accident, les radiothérapeutes et la direction de l'établissement qui ont laissé une partie des victimes "livrées à elles-mêmes" et la "tutelle locale" qui a "oublié d'avertir les autorités nationales".

 

L'Igas et l'ASN précisent également que cet accident est survenu dans un hôpital, le troisième de la Lorraine, qui souffre de "plusieurs handicaps".

 

Il s'agit d'un établissement qui a besoin d'être reconstruit et qui connait des "tensions entre médecins et direction", rendant "difficile" sa gouvernance et nuisant au rapprochement avec la polyclinique de la Ligne bleue.

 

SANCTIONNER LES FAUTES MANIFESTES

 

A la fin de son rapport, la mission propose de prendre différentes mesures, aux niveaux local et national.

 

Au niveau local, elle appelle à "aider les victimes" et à "sanctionner les fautes manifestes".

 

Elle suggère aussi de prendre des mesures organisationnelles pour éviter qu'un tel accident ne se reproduise et préconise de mener une enquête approfondie dans toute la région sur l'étendue des complications radiques du service de radiothérapie ces dernières années.

 

Plus généralement, cet accident a également révélé "d'importantes lacunes" auxquelles il convient de remédier, en matière d'assurance qualité, de gestion des crises sanitaires et de radiovigilance et de suivi des complications iatrogènes, estime la mission.

 

Elle propose donc d'ouvrir ou de compléter plusieurs chantiers, dont un sur "la réponse à la crise sanitaire" portant notamment sur la création d'un guichet unique des vigilances, lié aux Cire et à l'institut de veille sanitaire (InVS) "afin que les professionnels de santé ne s'égarent pas entre les nombreuses procédures et agences responsables".

 

Il a également montré que les risques d'une mauvaise gestion de crise perduraient tant qu'une fusion Drass-Ddass-ARH n'était pas assurée au sein d'une agence régionale de santé, estime la mission tout en se prononçant pour le maintien d'une distinction entre les fonctions de tutelle et celles de contrôle et d'inspection.

 

La mission propose aussi de prendre des mesures en matière d'assurance qualité dans le domaine de la radiothérapie, en "amplifiant" les initiatives prises pour l'élaboration de bonnes pratiques et de normes, en formant les personnels à ces pratiques et en accréditant, à terme, les structures ou les équipes pratiquant cette activité par des organismes certificateurs indépendants.