Source : APM

 

PARIS, 7 décembre 2007 (APM) - Les moyens humains et en équipements de la radiothérapie ont progressé mais restent insuffisants pour répondre aux développements techniques et au renforcement du contrôle de la qualité et de la sécurité, d'après les résultats préliminaires de l'Observatoire de l'oncologie radiothérapie en France.

 

En 1999, un rapport de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) pointait le retard pris par le parc français de radiothérapie et l'insuffisance des moyens. Il montrait notamment que les deux tiers des appareils étaient trop anciens pour être adaptés aux pratiques modernes comme la radiothérapie conformationnelle. La pénurie de professionnels étaient également relevée.

 

Avant les accidents d'Epinal et Toulouse, la Société française de radiothérapie oncologique (SFRO) a décidé de mettre en place un observatoire afin de refaire un état des lieux (celui prévu par la CNAMTS en 2003 n'ayant pas été conduit) pour voir les progrès accomplis et pour recenser chaque année l'état du parc, l'activité et la démographie des professionnels de cette discipline.

 

Le Dr Bruno Chauvet de l'Institut Sainte-Catherine d'Avignon a présenté la semaine dernière lors du congrès annuel de la SFRO, les résultats préliminaires de cet observatoire provenant de 151 réponses sur 179 centres recensés (84%). Des résultats plus complets portant sur 160 centres (95%) seront publiés au premier trimestre 2008. Les données de l'Observatoire national de la démographie des professions de santé (ONDPS) et de la l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) ont été intégrées.

 

"Des progrès réels sont enregistrés grâce aux mesures prises et au Plan cancer mais les recommandations du rapport de 1999 sont loin d'être atteintes", constate le Dr Chauvet.

 

DES PROGRES TECHNOLOGIQUES

 

Le nombre de machines de traitement s'est élargi avec une augmentation de 12% en cinq ans et les appareils au cobalt disparaissent peu à peu (il en reste 26 contre 68 en 2002). De plus, 46 centres vont acheter une machine supplémentaire entre 2007 et 2010.

 

Mais la modernisation est loin d'être achevée car 18% des appareils sont installés depuis plus de 15 ans (contre 22%). Ils fonctionnent correctement mais ne peuvent satisfaire aux exigences des techniques récentes de radiothérapie.

 

Ainsi, 68% des accélérateurs de radiothérapie ont un collimateur multilames qui permet une automatisation partielle des traitements (contre 23% dans l'enquête CNAMTS) et 80% (contre 45%) sont équipés d'une imagerie de contrôle portale qui offre de meilleures images de contrôle (dont 36% avec silicium amorphe, une technique encore plus récente).

 

Moins de la moitié des centres ont un scanner dédié, outil indispensable pour faire de la radiothérapie conformationnelle sur tous les traitements. Les autres (51,3%) ont accès à en moyenne six heures de plage horaire par semaine. Deux centres n'ont même pas d'accès à un scanner.

 

Tous les centres répondeurs sauf un sont équipés de logiciel pour la dosimétrie et 41% ont un logiciel de planification inverse pour faire les traitements avec modulation d'intensité. Le logiciel double calcul, exigence récente, est détenu par 51% des centres.

 

S'agissant de la dosimétrie in vivo qui permet de contrôler que les patients reçoivent bien la dose prescrite, 30% possèdent l'outil, ce qui ne veut pas dire qu'ils s'en servent. L'hôpital d'Epinal possédait cette technologie mais ne l'utilisait que partiellement, note-t-on.

 

"La dosimétrie in vivo [qui fait partie des nouvelles exigences en radiothérapie] n'est pas la panacée. On ne peut pas l'utiliser pour tous les traitements; l'écart décelé est parfois très proche de la mesure et d'autres techniques apparaissent comme la dosimétrie sur image portale", indique le Dr Chauvet à l'APM.

 

Cette nouvelle technique qui mesure l'irradiation sur le capteur est en cours de validation pour les traitements non modulés, ajoute le radiothérapeute qui la teste en ce moment, avec une généralisation prévue d'ici un an. La dosimétrie in vivo a été proposée comme thématique pour le programme de soutien des techniques innovantes coûteuses (Stic) afin de comparer la dosimétrie in vivo classique à celle sur imagerie portale.

 

Plus de 90% des centres répondeurs ont un système Record & Verify (les données du traitement sont transmises par réseau sans saisie manuelle), 77% étant raccordés à tous les accélérateurs et 70% au système de planification des traitements (contre 15% en 1999).

 

UNE LOURDE CHARGE DE TRAVAIL...

 

Les données d'activité recueillies permettent de dire que sur la France entière, 170.000 patients ont été traités avec 377 appareils en 2006. La moitié de l'activité est libérale (50,7%), les centres de lutte contre le cancer assumant 22,7% des patients, les CHU 11,1%, les CH 11,9% et les PSPH hors CLCC 3,4%.

 

Le nombre de traitements effectués est estimé France entière entre 185.000 et 193.000, soit une charge médiane de 496 traitements par appareil, quand les recommandations -certes un peu dépassées- parlent de 400 à 450 traitements annuels par machine, note le Dr Chauvet. Un quart des centres font une moyenne de 626 traitements par machine.

 

Au total, cela fait plus de 3,2 millions de séances pour les 151 centres en 2006 soit 3,5 millions pour l'hexagone. Près d'un cinquième des établissements font plus de cinq séances de traitement par heure, et cette charge de travail paraît plutôt sous-estimée. Elle sera affinée en 2008.

 

La pratique de la radiothérapie 3D conformationnelle a bien progressé. Elle concerne 80% des centres mais la radiothérapie conformationnelle avec modulation d'intensité reste marginale avec 1% seulement.

 

...ET PAS ASSEZ DE BRAS

 

Les données sur la démographie sont "les plus préoccupantes", fait remarquer le Dr Chauvet.

 

"La CNAMTS avait déjà recommandé en 2000 d'augmenter le nombre de radiothérapeute et le nombre de physiciens. La situation n'a guère progressé", regrette le médecin.

 

Concernant les radiothérapeutes, l'augmentation est lente mais régulière avec actuellement environ 660 médecins. Mais la pyramide des âges fait que d'ici 2012, la profession va subir 121 départs en retraite. En outre, elle se féminise, ce qui réduit le nombre d'équivalents temps plein. D'ici cinq ans, 103 médecins seront formés, dont 10 médecins étrangers qui risquent de repartir dans leur pays.

 

"Même si nous avons pu augmenter le nombre d'internes, c'est encore insuffisant pour renouveler les effectifs. Or, actuellement les besoins ne sont pas couverts. La pénurie va donc s'aggraver", poursuit le Dr Chauvet.

 

Parmi les 32 mesures annoncées par la ministre de la santé Roselyne Bachelot la semaine dernière pour la radiothérapie, aucune ne porte sur la démographie des radiothérapeutes oncologues.

 

"La surveillance médicale qui consiste à suivre tous les patients traités une fois par an n'est pas applicable, faute de temps médecin", souligne le spécialiste. Des pistes sont évoquées, dont l'augmentation du nombre d'internes et de chefs de cliniques, du nombre de postes d'externes (afin de faire connaître la spécialité aux futurs médecins) et le transfert de compétence vers les physiciens.

 

Mais les radiophysiciens sont également trop peu nombreux avec entre 320 et 340 équivalents temps plein (ETP) alors que les besoins sont estimés entre 430 et 530. Ainsi, 85% des centres ont des effectifs insuffisants et 40% ne peuvent respecter l'obligation de présence. La charge médiane de travail est de 509 traitements par ETP.

 

La filière de formation a été élargie. D'ici 2011, on devrait avoir 260 radiophysiciens supplémentaires mais ils ne vont pas tous en radiothérapie (certains vont en médecine nucléaire ou dans l'industrie). Or, les besoins vont s'accroître avec les nouvelles règles de contrôle, note le Dr Chauvet.

 

Pour les manipulateurs, les données sont assez nouvelles et confirment une pénurie observée depuis un à deux ans. "Certains centres doivent s'arrêter de fonctionner à 16h faute de manipulateur", rapporte-t-il.

 

On dénombre 1.979 manipulateurs (soit 1.803 ETP). C'est insuffisant pour répondre à l'obligation légale d'avoir deux manipulateurs en permanence pendant les séances. D'après l'observatoire, 18 centres dont 14 libéraux ont moins de deux ETP/appareil. "Il faudrait de nouveaux centres de formation et augmenter la part de la radiothérapie dans le programme pour limiter l'orientation vers le radiodiagnostic", suggère le médecin.

 

L'observatoire constate l'émergence d'un quatrième métier, celui des dosimétristes. Ce sont généralement des manipulateurs ou des Bac+3 ou 4 en métrologie ou sciences qui se sont formés à la dosimétrie. Mais ce métier n'est pas encore reconnu et n'a donc pas de filière de formation. Des travaux ont été engagés au ministère pour reconnaître cette profession qui soulage les physiciens et les manipulateurs.

 

Enfin, un cinquième métier se profile, celui de technicien de maintenance pour assumer les opérations de contrôle de la qualité. "Ce sont des auxiliaires importants des physiciens", note le Dr Chauvet. On en dénombre une centaine en France.

 

"On note donc de réels progrès. On maîtrise beaucoup plus la dose; les professionnels sont mieux structurés et disposent de thésaurus de recommandations. Mais le parc reste surchargé et vieillissant. Les données démographiques sont inquiétantes. On ne sortira pas la tête de l'eau avant cinq ans et globalement les moyens humains et en équipements restent insuffisants pour faire face aux progrès technologiques et aux exigences réglementaires", conclut le radiothérapeute.

 

"Nous espérons que dans le cadre de la tarification à l'activité (T2A) qui va s'appliquer à tous les centres progressivement (les centres privés vont devenir des établissements de santé), la radiothérapie sera préservée des mesures d'économies budgétaires", ajoute-t-il.