* Source : APM

 

PARIS, 23 mars 2007 (APM) - Le rapport de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) pointe les mauvaises pratiques de radiothérapie conformationnelle du service de l'hôpital d'Epinal, qui ont conduit à surirradier quelque 400 patients atteints d'un cancer de la prostate, constate-t-on à la lecture de la synthèse rendue publique vendredi.

 

A la demande de Xavier Bertrand, l'IRSN a mené une expertise sur la période de 2001 à novembre 2006 au cours de laquelle plus de 4.000 patients ont été traités par radiothérapie à l'hôpital d'Epinal.

 

Sur ce nombre, une majorité des traitements relevait de la radiothérapie conventionnelle. Pour ceux-là, l'IRSN indique que son investigation n'a pas fait apparaître d'indice révélateur de pratiques critiquables du service.

 

"Il a toutefois été observé une insuffisance du suivi médical des patients au cours du traitement et postérieurement à celui-ci", souligne l'IRSN dans la synthèse de son rapport mis en ligne sur son site internet.

 

L'expertise s'est donc centrée sur la radiothérapie conformationnelle. Elle a montré en outre que "les pratiques critiquables mises en évidence n'étaient en mesure d'induire des risques significatifs de lésions radio-induites que dans le cas des protocoles de traitement du cancer de la prostate, pour des raisons d'ordre anatomique", explique l'IRSN.

 

Les autres champs d'utilisation de la radiothérapie conformationnelle, concernant le poumon et le cerveau, n'ont donc pas fait non plus l'objet d'une analyse approfondie, ajoute-t-il.

 

Les mauvaises pratiques détectées ont concerné un total de 421 patients traités pour un cancer de la prostate entre 2001 et 2006, dont 24 qui ont été également victimes d'une erreur de manipulation du logiciel de dosimétrie entre mai 2004 et août 2005.

 

Les pratiques du service qui ont conduit à surirradier 397 patients, en plus donc des 24, ont été commises à l'occasion des contrôles effectués avant les séances de traitement, explique l'IRSN.

 

L'un des ces contrôles, effectué avec le système d'imagerie portale de l'appareil de traitement, était hebdomadaire et apportait à chaque fois une dose de 0,2 Gy.

 

L'autre type de contrôle, appelé "matching", visait à vérifier à partir de deux clichés orthogonaux générés par des faisceaux de rayonnement, le positionnement correct du patient. Il associait une dose de 0,15 Gy.

 

"Or le problème est que normalement, la dose de rayonnement apportée lors de ces contrôles doit être retirée du dosage du traitement", a expliqué vendredi à l'APM le Pr Patrick Gourmelon, directeur de la radioprotection de l'homme à l'IRSN.

 

"De plus, il n'est pas d'usage de faire un matching tous les jours", souligne-t-il.

 

Pour les personnes traitées pour un cancer de la prostate, la dose totale ajoutée a pu représenter ainsi 6 Gy au total.

 

UN PROTOCOLE D'ESCALADE DE DOSE

 

Par ailleurs, tout en précisant que les choix thérapeutiques ne paraissent pas devoir être remis en cause "dans la plupart des cas", l'IRSN "s'étonne" des conditions dans lesquelles le service a eu recours à un protocole dit de "l'escalade dose".

 

Ce protocole a été utilisé pendant la période 2004 à 2005 pour une trentaine de patients atteints également d'un cancer de la prostate.

 

Or cette technique qui vise à "accroître progressivement (jusqu'à 78 Gy) la dose administrée à une série de patients afin de définir par l'expérience le niveau de dose optimal, "s'apparente à un protocole d'étude clinique et qui nécessite usuellement un cadre approprié".

 

Les patients auraient dû, en outre, être informés de la proposition de mettre en oeuvre un protocole de traitement comportant des risques plus élevés. Or "il ne semble pas que toutes ces bonnes pratiques aient été respectées", déclare l'IRSN qui se prononce en conclusion pour un suivi médical et un examen de l'ensemble des patients ayant subi toutes ces mauvaises pratiques.

 

LOGICIEL: DES INCOHERENCES DANS LE DOSSIER DE LA 24EME VICTIME

 

Interrogé par ailleurs sur la découverte d'une vingt-quatrième victime de l'erreur de manipulation du logiciel de dosimétrie entre mai 2004 et août 2005 et qui a conduit à une surirradiation de 20% environ, le directeur de la radioprotection de l'IRSN indique que ce patient a été découvert lors de l'interrogatoire médical effectué auprès des patients traités pour un cancer de la prostate.

 

"Ce patient souffre de signes cliniques pouvant être graves. Nous avons donc demandé à vérifier son plan de traitement avec les doses délivrées. Nous nous sommes alors rendu compte de l'existence d'incohérences dans les fiches de son plan de traitement. Nous sommes allés chercher les traces informatiques du traitement et avons alors eu la preuve que ce patient faisait partie de la cohorte de l'accident de logiciel et avait reçu un surdosage important en raison de la mauvaise application du logiciel Cadplan", explique à l'APM le Pr Gourmelon.

 

"Nous l'avons découvert grâce à notre interrogatoire à caractère médical. Il faut être hypertechnicien pour se rendre compte des incohérences pouvant exister dans le plan de traitement", souligne-t-il.

 

Il précise que l'IRSN ayant procédé à un examen systématique des dossiers de dosimétrie, il peut affirmer qu'aucun autre patient ne devrait rejoindre la cohorte des victimes de l'accident de 2004-2005.

 

Interrogé sur la nature des "incohérences" découvertes dans le dossier du patient, le représentant de l'IRSN indique qu'il n'appartient pas à son organisme de porter un jugement sur les actions des professionnels. "C'est à la justice à qui nous avons transmis l'intégralité de notre rapport de regarder cela de plus près", déclare-t-il.

 

Le Pr Gourmelon, tout comme le directeur de l'Agence régionale de l'hospitalisation (ARH) de Lorraine, Antoine Perrin, ont indiqué à l'APM que les deux radiothérapeutes et le radiophysicien restaient les trois seules personnes désignées comme responsables directes de l'accident et des mauvaises pratiques. Les manipulateurs ne sont pas responsables, précise notamment le Pr Gourmelon allant ainsi dans le sens de la conclusion de l'Igas.

 

Par ailleurs, alors que la Lorraine est pionnière en matière de réseau de cancérologie avec le réseau ONCOLOR, les deux professionnels faisaient partie des très rares à ne pas participer à ce réseau, a-t-on appris auprès d'un des responsables du réseau.

 

Si le réseau favorise l'élaboration et la diffusion de référentiels, il n'est pas en mesure de déceler des mauvaises pratiques. L'analyse de l'activité que commencent à faire de plus en plus de réseaux n'a pas une réactivité suffisante pour le faire non plus. En revanche, la mise en place du dossier communiquant en cancérologie (DCC) devrait aider car il sera alors possible d'évaluer les résultats par type de cancer et par stade, a commenté pour l'APM un président de réseau.

 

Les deux radiothérapeutes et le radiophysicien ont été suspendus début mars par Xavier Bertrand et une procédure disciplinaire à leur encontre a été engagée, rappelle-t-on.

 

L'IRSN s'est particulièrement mobilisée pour réaliser cette mission sur la radiothérapie à l'hôpital d'Epinal, menée en une dizaine de jours.

 

"Un total de 47 personnes ont participé à cette mission", précise le Pr Gourmelon.