L'audience débute à 13h30. La salle est plus remplie que pour les audiences précédentes. A Epinal, la salle est comble. Cette dernière audience est dédiée aux plaidoiries des conseils des prévenus, aux dernières déclarations des intimés, puis aux dernières paroles des prévenus.

L’ordre des plaidoiries est déterminé par les peines du premier délibéré et la prévention.

Au niveau de la couverture médiatique, elle est un peu plus présente, surtout à l’entrée et aux pauses (caméra). Quelques journalistes sont présents sur la mezzanine (entre 5 et 7).

 

L’audience du jour :

Elle commence par les plaidoiries des 2 avocats de Joshua Anah (JA), Me Eric Le François et Me Jean Reinhart.

Me Le François commence par des comparaisons avec d’autres accidents majeurs. Il situe d’emblée ses paroles au 11 mars 2011 au Japon, lorsque le tsunami engendre la catastrophe de Fukushima, un accident nucléaire majeur. Cet accident engendrera dès le 21mars 2011 des décisions de visites et de tests de l’ASN pour certains réacteurs en France. Il sera alors découvert qu’aucun protocole écrit n’existe en cas de catastrophe du même type. A la suite de ces visites de l’ASN, des mesures seront prises, par arrêté notamment, et des exigences seront formulées pour plusieurs centrales nucléaires. André Claude Lacoste déclarera qu’il y a « un avant et un après ». Comme pour Epinal, « il y a un avant et un après ». Ainsi, pour analyser les responsabilités, il faut se placer avant.

Me Le François raconte les rapports institutionnels des années 2000, officiels, avec conclusions alarmantes concernant les pratiques et conditions d’exercice de la radiothérapie, avec des moyens comparables à ceux du moyen orient. « La question était où et quand un accident de radiothérapie allait survenir ».

Après Epinal, des mesures seront prises, avant Epinal, le risque imminent était avéré… Avant 2005, les équipes étaient-elles incompétentes ? Avant 2005, les pouvoirs publics n’ont rien fait pour la radiothérapie. Me Le François pointe explicitement que toutes les responsabilités étaient alors rejetées en bout de chaine, au physicien médical, seul.

Me Le François rappelle bien, en le remerciant, que le Président avait bien précisé à l’ouverture du procès qu’il fallait se remettre dans le contexte de l’époque. Toutes les lettres de suite de l’ASN sont évoquées, Me Le François en a versé 115 au dossier pour illustrer où on en était à l’époque au niveau des pratiques. Il remercie le Président pour avoir permis ces débats, et avoir compris le fonctionnement de la radiothérapie.

Me Le François en vient au passage aux filtres EDW, précisant que le président a bien compris que cela s’est fait avec concertation, et notamment en faisant des tests le soir après les traitements. Il est donc faux de dire que JA l’a fait tout seul sans rien dire.

Sur la formation des manipulateurs (MERM), Me Le François évoque des reproches de négligence faits à JA. JA avait bien établi un protocole écrit, indiquant notamment la rotation de collimateur à appliquer lorsqu’on en est filtre EDW, et la case des filtres à cocher. « Comment peut-on considérer que les informations concernant une case à cocher sont imprécises ? ». Personne n’a rien dit à ce sujet. Jean-Claude Rosenwald a exposé son avis et les limites de la formation par tutorat, en relatant l’état de l’art tout relatif de l’assurance qualité (AQ) en la matière à cette époque.

Me Le François revient sur les lettres de suite de l’ASN, mais sur la période post-Epinal, notamment celles de l’Institut Gustave Roussy (IGR), de l’Institut Curie (IC), précisant qu’en 2009 les démarches d’AQ se mettaient en place ! Ces lettres décrivant également les débuts de la formalisation des rôles et responsabilités des professionnels. De même, l’état de la démarche en cours sur l’AQ au CHU Henry Mondor de Créteil est exposé. Me Le François conclue de toutes ces pièces qu’en 2004, la démarche d’AQ n’était pas mise en route, qu’il n’y avait pas de culture de l’écrit, mais juste de la communication orale. Les MERM pouvaient aller voir JA qui était disponible.

Me Le François rappelle toutefois le positionnement des MERM sous la responsabilité et la supervision des radiothérapeutes, qu’au CH les MERM relevaient des cadres de santé.

Pour en terminer sur la formation, Me Le François évoque les reproches « d’une formation entachée d’erreurs ». Il affirme que ce n’est pas possible lorsqu’il s’agit d’une case à cocher, et d’autre part il n’existe aucune preuve en la matière.

Sur la suppression des lignes de défense, Me Le François expose que cette notion de « ligne de défense » est apparue après Epinal. En l’occurrence, à Epinal, il s’agissait d’évolution à faire, pas de suppression. Me Le François fait l’historique du besoin de « calcul maison » puisqu’il n’existait pas dans les années 90 de solution industrielle.

Après Epinal, on interdit les « logiciels maison », donc comment reprocher à JA de ne pas avoir continué à développer le sien jusque-là ?

Sur la dosimétrie in vivo (DIV), elle devient obligatoire en 2011, et était peu utilisée avant 2004 (pas plus de 30% des Centres). La DIV n’est pas infaillible, il faut bien savoir interpréter ses résultats, c’est sa grande difficulté.

Donc non, avant Epinal, il n’existait pas de lignes de défenses obligatoires. Me Le François cite de nouveau des lettres de suite de l’ASN pour illustrer ses propos sur la difficulté de la DIV, de la charge de travail parfois difficile à absorber. Me Le François montre ainsi que 3 ans après la découverte d’Epinal, il existait toujours des difficultés à la mise en œuvre de la DIV, y compris à l’IGR en 2008.

De même, sur le double calcul des UM, Me Le François cite des lettres de suite de l’ASN, pointant les retards à cette mise en œuvre en 2008 et 2009, par manque de temps notamment. « Que fait l’ASN ? Elle ferme tout ? Non, elle demande que ce soit mis en œuvre avec un certain délai ».

Sur les erreurs de validation par JA des feuilles de traitement, Me Le François montre des feuilles d’impression pour illustrer la multitude des paramètres et la difficulté à les vérifier. JA s’en est excusé, il a dit qu’il aurait dû y consacrer plus de temps. Me Le François énumère alors toutes les tâches que devait faire le physicien médical pour confirmer et justifier le manque de temps du physicien médical. De plus, JA était également Personne Compétente en Radioprotection (PCR) et devait former l’ensemble du personnel, s’occuper du zonage, etc. Pour faire tout cela, il n’y avait que JA, en sous-effectif flagrant. Il faut donc prendre en considération les pouvoirs et moyens de l’époque.

Me Le François se dit très choqué des reproches de manque de vigilance dans cette où JA est débordé, car seul physicien, les pouvoirs publics ayant été incapable de fournir les éléments de sécurité. Sur ces points, aucune faute ne peut être reprochée à JA (Me Le François parle de la cohorte 1).

Pour les images de matching, Me Le François montre qu’elles sont prescrites par les radiothérapeutes, faites par les MERM, puis contrôlées par les radiothérapeutes. Ces contrôles sont des actes médicaux purs, JA n’est donc pas l’acteur direct. JA n’a donc commis aucune faute pour ne pas avoir soustrait les UM. Me Le François cite encore les lettres de l’ASN post-Epinal demandant aux centres de soustraire les UM, ce qui n’était pas fait avant Epinal. Cela a été confirmé par le témoignage du Dr Delanian. Dans le contexte de l’époque, ce n’était donc pas une erreur de ne pas retirer les UM, mais une pratique « scientifiquement acceptable » comme mentionnée par le Pr Gourmelon puisque les doses de ces images étaient faibles.

Me Le François explique, se basant sur les experts Jean-Claude Rosenwald et Pierre Bey, que le calcul exact des doses des images, avec une énergie différente de celle du traitement, était techniquement impossible à faire en direct, donc ce n’était pas fait, y compris dans les autres centres. On ne peut donc pas reprocher à JA de ne pas avoir retranché les UM.

A propos du changement de mode d’acquisition en « High Quality », Me Le François expose que JA avait parlé aux radiothérapeutes de diminuer le nombre des images, et le besoin de nouveau matériels d’imagerie. JA n’avait pas autorité sur les images de matching, décision médicale, et à l’époque personne ne soustrayait les UM, et malgré cela JA a précisé aux radiothérapeutes de diminuer le nombre de ces images. JA n’a donc pas commis de faute sur les matching.

Sur le volet qu’il qualifie de « plus humain » des soustractions de preuve, Me Le François dit que JA ne s’est pas caché pour reclasser les fiches de matching, qu’il l’a fait devant tout le monde. Pourquoi aurait-il fait cela ? Il avait les clefs et pouvait venir à n’importe quel moment pour le faire. JA a justifié qu’il ne voulait pas soustraie d’informations aux experts, ces éléments existaient sur les  fiches de traitement, Alain Noel l’a d’ailleurs confirmé. JA ne peut donc être condamné pour cela.

Me Le François explique que pour la fiche de Mr Bazin, c’est « parole contre parole », JA a juste mis un double dans le dossier. Me Le François expose qu’en ne la signant pas, cela montre que JA n’avait pas l’intention de « faire un faux ». On ne peut donc condamner JA pour ces fautes.

Pour la « non-assistance à personne en danger », JA a été relaxé. JA n’avait pas mis en doute qu’il fallait intervenir, et pensait que les patients étaient pris en charge. Me Le François demande de confirmer la relaxe.

Sur la responsabilité civile, JA n’a commis aucune faute détachable de ses fonctions de physicien médical.

Me Le François passe le relai à Me Jean Reinhart, toujours pour la défense de JA. Me Reinhart rappelle le contexte très émotionnel de l’époque, dû en partie au cancer lui-même. Il développe, dit que c’était en toile de fond, qu’on a peur du cancer, qu’on a même une certaine peur de citer ce nom. Un cancer de la prostate est la seconde cause de cancer chez les hommes. Il rend hommage à la grande pudeur des victimes. Me Reinhart parle d’un traumatisme quand le cancer entre dans une famille.

Me Reinhart expose que 90% des patients ne savent pas que le physicien médical existe, contrairement aux professions de radiothérapeutes, d’oncologues, de MERM… « Le physicien médical est l’homme de l’ombre, homme invisible, maintenant visible en appel, car lourdement condamné en première instance.

Me Reinhart loue la qualité des débats, revenant sur l’émotion de certains témoins.

Me Reinhart expose que JA n’est pas responsable que les patients aient été doublement affectés, une première fois par le cancer, une seconde par leurs suites. Me Reinhart explique que dans ce milieu, il y a beaucoup de monde qui cohabite sans forcément bien communiquer. Il y avait « des castes », mais JA allait discuter et déjeuner avec les autres praticiens, les MERM,… mais pas forcément les radiothérapeutes.

Me Reinhart revient sur les arrivées soit disant « en retard » le matin. Comme tout le monde, cela lui est arrivé, mais sans plus. JA était bien présent aux réunions de 8h30.

JA n’est pas venu en France pour tuer. A aucun moment il n’a voulu casser l’image de la France, terre d’accueil pour lui. Il a tout fait pour s’intégrer à Epinal, a eu 2 enfants. JA n’est pas un « tir au flanc », et Me Reinhart évoque sa différence de couleur pour évoquer la nonchalance qu’on lui reproche à tort, lui qui travaillait tard le soir… Me Reinhart dit que JA n’avait pas d’orgueil, qu’il était accessible, pas nonchalant. Il regarde tous ces reproches « droit dans les yeux ».

Me Reinhart en vient aux filtres en coin dynamiques, aux 24 victimes sur les 110 traitements avec ces filtres. Me Reinhart parle avec cœur et grande conviction de cette « évolution », balaye les reproches sur la formation pour une case à cocher, dit que JA n’avait pas à convoquer tout le monde pour procéder à un examen. Un professeur qui donne un cours n’est pas responsable de la qualité de ses élèves, « c’est du bon sens ». JA a  donné les bonnes informations au bon moment. Me Reinhart fustige la cadre qui a désigné JA, alors que c’est elle et les MERM qui ont appuyé sur le bouton.

JA n’a pas prescrit les matching, a averti, ne savait pas le nombre de matching, il ne les faisait pas… et pourtant les institutions judiciaires l’ont désigné. JA répond donc à la place des praticiens.

Sur la disparition de preuves, déplacer les pièces n’était pas intelligent, c’était d’ailleurs au moment où ces faits étaient évoqués que JA a eu son malaise à la barre. Ces accusations sont insupportables pour JA, qui reconnait qu’il aurait pu mieux faire.

Me Reinhart rappelle que JA, la veille comme en première instance, ne méritait plus de « Monsieur » ni même de prénom, dans le but d’accabler et d’exagérer les charges sur JA. Un seul physicien médical ne suffisait pas, « JA aurait-il dû démissionner ? S’il est condamné, est-ce cela qu’on veut démontrer ? ». Me Reinhart fait le parallèle avec l’aviation, le co-pilote, inexistant aux côtés de JA. Me Reinhart cite les manquements de la directrice, Mme Capelli, qu’il n’y avait pas de « Record & Verify », des problèmes organisationnels à l’hôpital… « Faut-il condamner JA pour cela ? », « peut-on réellement parler de formation en interne à propos d’échanges d’informations ? ».

Me Reinhart décrit les rôles des radiothérapeutes, du physicien médical, des MERM,… chacun ayant sa place, radiothérapeutes et physicien médical n’étant pas nécessairement présents au poste de traitement si l’on n’a pas besoin d’eux.

Me Reinhart développe  longuement sur les qualités humaines de JA. Il dit que s’il a eu des défaillances, ces dernières ne répondent pas du pénal.

 

Il est 15h20, le Président accorde une première pause de 10 minutes.

A la reprise, le conseil de Michel Aubertel (MA) débute sa plaidoirie. Il rend également hommage à la qualité des débats et de l’instruction, bien meilleure qu’en première instance (même s’il n’était pas à cette époque l’avocat de MA). La première pensée de MA va aux victimes et à leur famille. Devant autant de douleur et de dignité, il leur adresse sa compassion la plus sincère.

L’avocat expose qu’il y a 2 souffrances parallèles dans ce procès : celle des victimes, et celle des hommes dont le but était de faire reculer le mal. Il dit être là pour réhabiliter MA, aux yeux de sa femme et de ses connaissances, il dit qu’il n’est pas incompétent mais humain.

L’avocat évoque la loi Fauchon, la cours de cassation, pour en arriver au fait qu’il faut un niveau de preuves très élevé pour des fautes non intentionnelles. L’avocat cite le non-lieu dans l’affaire du sang contaminé (4 000 malades étaient concernés) : « La justice pénale ne doit pas forcément désigner un coupable pour tous les accidents de la vie » avait dit à l’époque l’avocat général dans ce procès. L’avocat cite aussi d’autres affaires, comme celle des hormones de croissance, relaxée au pénal mais pas au civil. L’avocat cite Tchernobil est les mensonges institutionnels au sujet du nuage radioactif. Pour l’affaire des sur-irradiés de Toulouse, il y a eu un non-lieu à l’issue de l’instruction. L’avocat explique le mauvais étalonnage, non détectable par le service avec les moyens dont il disposait. L’avocat cite également une affaire de tremblement de terre en Italie, avec 10 000 victimes, où les experts sismologues seront relaxés.

L’avocat de MA a été adjoint au maire d’Epinal. Il en vient au fait que l’on peut se poser des questions, … « les administrations, rien, les lampistes, tous condamnées »… il fustige les autorités de tutelle. Il dit que « si la loi tue la loi », des textes auraient dû exister bien avant.

L’avocat dit qu’il y a bien eu un avant et un après Epinal. Il dit qu’il y en aura d’autres, car « après Epinal on a fait que penser, mais dans le fond rien n’a changé ».

L’avocat présente MA, un homme dans son costume gris mal taillé, un homme simple, peu expansif, une vie peu mouvementée, MA se contente de la tranquillité de la campagne, il a une petite voiture. L’avocat évoque sa simplicité, ses études à Nancy dans un studio pas chauffé. Il relate son cursus, son arrivée à Epinal en 1977. MA rejoint Jean-François Sztermer (JFS) en 1987. MA choisit la cancérologie, sachant que c’est plus difficile qu’une autre spécialité. Il en vient à « l’échec », et il ne peut supporter les accusations, celles de complicité, il réfute le taux de 50% d’activité privée au CHJM (il s’appuie pour cela sur les propos de Mme Lalande de l’IGAS qui a dit que 13 à 15% des patients étaient en activité libérale, et que 50% des victimes étaient dans le cadre de ces activités libérales). MA ne pratiquait pas les dépassements d’honoraires, les patients signaient pour cela, et MA reversait 50% de ses revenus au CHJM. L’avocat dit que si MA était un homme d’argent, il serait parti dans le privé. Seulement 3 matching par semaine étaient remboursés par la sécurité sociale.

A propos de la présomption d’innocence, l’avocat dit que la faute était celle de JA, mais que MA a été suspendu fin février 2007, sans le prévenir, et en lui faisant succéder le Dr Jean-Marc Simon. Les radiothérapeutes seront suspendus, puis radiés. MA devient chômeur, il n’y a aucun discernement. L’avocat récupère un homme dévasté, quelle que soit la décision de justice, cet homme est « mort de l’intérieur, complètement détruit ».

L’avocat dit que MA ne pouvait pas vérifier les filtres en coin. Chaque acteur est compétent dans son domaine, a son propre rôle, a besoin des autres mais ne peut pas prendre leur place.

L’avocat fait l’éloge de la région, de sa région, des hommes, dit que les praticiens du CHJM étaient de qualité. Il répètera plusieurs fois « qu’il a mal à ses Vosges ». Il explique l’isolement du service de radiothérapie par la nécessité d’avoir des murs de 5 m d’épaisseur pour « l’accélérateur nucléaire ». Il y avait également besoin d’un parking, d’un accueil et d’une prise en charge familiale des patients, donc que cela ne pouvait pas se faire par l’accueil principal du CH. Le service n’était pas « un état dans l’état ». L’avocat dit que le service de radiothérapie n’était pas isolé du reste dans ses pratiques, évoquant les diverses réunions où allaient les radiothérapeutes, à l’intérieur mais également à l’extérieur du CH. L’avocat décrit un fonctionnement global du CH, des autres services, un peu comme la radiothérapie, avec des tensions et des difficultés.

Le Pr Gourmelon a dit qu’il y avait seulement 0.8 ETP de physicien, alors que l’activité était élevée. L’avocat cite la lettre de suite de l’ASN, la nécessité de rédiger un POPM, de s’équiper avec d’autres logiciels que des logiciels maison. Il insiste sur les besoins non satisfaits de logiciel en 2003 et 2004.

L’avocat en vient à la prévention.

Sur l’escalade de dose, il précise que 2 patients ont eu des prescriptions de 77 et 78Gy. L’un est décédé, l’autre n’est pas partie civile.

Sur le passage aux filtres en coin dynamiques, l’avocat expose le cas de M. Constant, et démontre que même si MA était le chef de service, JFS commandait toujours, « et on passe aux filtres dynamiques ». MA n’est pas opposé, mais n’a pas poussé non plus. MA dit qu’on peut attendre 2005 et l’arrivée d’Eclipse pour le faire. « On profite de son absence pour changer les filtres », avec Mme Robert, avec l’accord de JFS. « Qui est le chef de service ? Qui commande ? ». Avec son caractère posé, peut-il s’opposer à un changement intervenu « derrière son dos ». MA demande dans un premier temps que les patients soient en filtres physiques, puis il réfléchira au confort des patients et des MERM, et il donnera son accord. Il demandera à JA qui lui dira que tout est bon. L’avocat expose que MA accepte le passage aux filtres dynamiques pour homogénéiser les pratiques et les traitements au sein du service. MA pensait que les lignes de défense étaient préservées. Il renvoie aux erreurs de JA, aux résultats de la DIV qui mèneront selon lui à l’abandon. « Cela, MA ne peut pas le savoir ». Sur ce premier chef, la responsabilité de MA ne peut être retenue.

Pour les doses des matching, l’avocat dit qu’un positionnement du patient « au millième de mm » est plus important que la dose additionnelle.

Sur la DIV, l’avocat dit que ce n’est pas obligatoire mais qu’à Epinal ils le faisaient.

Sur l’escalade de dose, l’avocat évoque les propos du Pr Gourmelon précisant qu’aucun consensus n’existait sur le niveau de dose en 2004. Depuis, rien n’a changé, toujours pas de consensus.

L’avocat dit que si la dose des images avait été précisée à MA et soustraite du traitement, s’il n’y avait pas eu l’erreur de filtre EDW, alors les prescriptions de 77 et 78Gy étaient appropriées. Il dit que les 2 radiothérapeutes ne sont pas incompétents, qu’ils arrêtent l’IMRT, qu’ils se ramènent aux conseils du Dr Pierre Bey de prescrire 74Gy, même s’ils n’en sont pas convaincus. L’avocat dit que si les 2 radiothérapeutes avaient choisi des doses plus élevées, c’était pour mieux soigner, en acceptant un risque normal de rectite radique  si leur prescription est respectée, ce qui n’a pas été le cas. Leur responsabilité ne peut donc être mise en cause.

Sur l’assistance à personne en danger, l’avocat décrit à propos des cellules souches que les traitements ont échoué, et qu’à ce stade de la science, il n’existe pas de traitement pour les sur-irradiations lourdes. Il n’existe pas de traitement conventionnel connu et efficace en l’état des connaissances à cette époque. Cela a été confirmé par les spécialistes. « Le mal était fait ».

Sur le suivi des patients, l’avocat explique comment cela se passe, que 2 mois après le traitement, il n’y avait pas encore de signes. Il cite des exemples concrets, où les problèmes sont survenus bien après. Il en vient à 2005, et dit que « JA prend conscience de l’erreur qu’il a commise ». Les dossiers sont ressortis. La directrice du CH, Mme Capelli est avertie, mais rien : « le CHJM est isolé du reste du monde ». « Plus rien après le 15 octobre… » donc les options seront prises localement. Tous les patients seront rappelés, et s’il n’y a pas de complications, alors l’avocat invoque un arrêté pris au sujet de Kreutzfeld-Jacob pour justifier du droit des patients de ne pas savoir pour préserver leur tranquillité, leur vie, ne pas susciter d’angoisse… donc aucune information ne sera donnée au patient s’il n’y a pas de complication : « on n’en rajoute pas » pour ne pas affoler inutilement. « Tout est fait en conscience, dans l’intérêt des patients ». L’avocat demande donc la relaxe pour ces chefs.

Sur la complicité de destruction de preuve, l’avocat se dit surpris, les radiothérapeutes n’avaient aucun intérêt à supprimer ces fiches puisqu’ils ne savaient pas que les images de matching apportaient de la dose additionnelle. Il développe, et dit qu’ensuite ces doses seront retirées du traitement dès qu’ils l’ont su. L’avocat dit qu’il n’y a pas de causalité de cette prétendue complicité, et demande donc la relaxe.

 

Le président accorde une seconde pause.

Mme Capelli ne pouvant pas rester jusqu’à la fin de l’audience pour raison médicale, le Président lui accorde la parole avant la plaidoirie du conseil de JFS. Elle sera courte, dit que tout a été dit pendant le procès, qu’elle a essayé de toujours être vraie. Elle commence, comme à chacune de ces auditions pendant le procès, à pleurer. Elle espère que les patients l’ont compris.

 

Pour la défense de Jean-François Sztermer (JFS), Me Martin Raynaud commence sa plaidoirie en prévenant qu’il sera long, toutefois moins que les conclusions qu’il a déposé, et que sa plaidoirie sera complétée par celle de Me Hervé Temime.

Me Raynaud raconte la vie de JFS, dit qu’elle a basculé le jour de la découverte en 2005 des accidents. Me Raynaud dit que JFS a permis, par les courriers du 16 septembre 2005, de contribuer à informer. La crise sanitaire l’a dépassé, et il sera suspendu 18 mois après.

Me Raynaud fait l’éloge de JFS, respecté de ses correspondants, qu’il voulait toujours offrir le meilleur à ses patients. Il expose son immense sentiment de culpabilité.

JFS n’a pas commis les fautes pour lesquelles il a été condamné. Les conclusions sont longues, mais Me Raynaud précise qu’il en fait juste une synthèse, avec Me Temime.

JFS n’a pas été mis en examen pour soustraction des feuilles de matching. Me Raynaud dit que JFS a donné des copies de ces feuilles en 2007 : n’étant plus au CHJM, il copie les dossiers qu’il a chez lui et envoie ses copies lorsqu’il en apprend le besoin. Il n’y a donc pas délit de dissimulation.

Me Raynaud revient sur des faits qu’il présente comme erronés et exposés pendant le procès, cela venant « polluer l’application du droit ». Me Raynaud dit qu’il est faux de prétendre qu’il n’y avait pas de suivi des patients (il cite les PSA à 2 mois de la fin des traitements par exemple, le suivi par les correspondants… un peu comme il l’avait déjà fait en première instance). Me Raynaud réfute les autres reproches, notamment de ne pas avoir alerté et informé les patients quand il a su.

Me Raynaud cite d’autres éléments faux, ou non pertinents, comme le caractère de JFS décrié pendant le procès. Les MERM parlaient aux réunions du matin, il est faux de dire qu’elles avaient peur, les craintes à propos du matching sont remontées aux radiothérapeutes. Me Raynaud réfute l’ascendant de JFS sur MA, et le démontre, par exemple en disant qu’à certaines dates il était absent et n’a donc pas pu empêcher MA de se conduire en chef de service.

A propos des filtres dynamiques, le Centre Alexis Vautrin (CAV) en disposait déjà, donc Epinal ne pouvait pas être le premier.

Il est faux de parler « d’omerta », JFS a appelé le CAV pour les mettre au courant, pour que les équipes soient aux faits. Me Raynaud souligne donc, à plusieurs reprises, un grand manque de rigueur de la réquisition. Me Raynaud utilise beaucoup de notions et de points de droit, de la technique du droit, dont les détails sont parfois difficiles à percevoir pour des non-initiés, tout cela dans le but de démonter la prévention. Il donne un exemple concret sur les textes, avec les consultations réglementaires d’anesthésie préopératoire. Me Raynaud dit qu’il n’y avait pas de texte à l’époque sur l’AQ, pas de consensus sur les niveaux de dose. Il désavoue les propos du Dr Pierre Bey, notamment sur l’escalade de dose avec seulement 1 physicien. Il dit que c’était le consensus de Pierre Bey, et ne voit pas pourquoi, pour 1 ou quelques séances de plus, cela devrait nécessiter plus de physicien. Me Raynaud détaille des éléments (articles médicaux…) pour dire que 78Gy était tout à fait légitime.

A propos des images de matching, Me Raynaud fait la démonstration que le risque est partout. Pour que le risque soit évident, il faut être dans son champ de compétence. Selon les jours et les tâches à accomplir, la radiothérapie est plus ou moins médicale, ou plus ou moins technique.

Sur les erreurs survenues au niveau de l’administration, JFS ne pouvait avoir identifié le risque.

Me Raynaud démontre, en exploitant les propos du Pr Gourmelon, que la culture de sûreté n’existe pas encore en milieu hospitalier. Il démontre que l’analyse du risque, sa perception, est très différente selon les personnes, les équipes, les centres. C’est pour cela que tant de choses ont été faites depuis. Me Raynaud expose que le guide actuel de l’analyse des risques constituera une circonstance aggravante pour les futures accidents, car il existe à présent, mais avant non, il n’existait pas.

Comme le conseil de MA, Me Raynaud parle souvent d’une erreur de case sur Cadplan pour les filtres dynamiques, comme s’il s’agissait d’une erreur de calcul alors qu’il s’agit d’une erreur de retranscription du calcul de Cadplan.

Me Raynaud démontre que JFS agissait sur les risques dont il avait la perception, comme les photos sur les dossiers par exemple (justifiant au passage de ses colères lorsque ces photos étaient mal agrafées). JFS avait conscience d’un risque général, pas avéré. C’est pour cela qu’il avait demandé des moyens humains (physicien et dosimétriste) et matériels (TPS et R&V).

Le risque de case dans Cadplan n’était pas connu. On peut se tromper sur tout, même dans une démarche de progrès, même dans une démarche constructive. Me Raynaud décrie Alain Noel sur les conclusions de son rapport et son témoignage à ce sujet. Il utilise les mots « c’est facile après coup » qu’A. Noel a prononcé lors de son témoignage à propos d’une critique sur un point de son rapport, « alors qu’il a lui-même accusé » en justifiant que ces mots constituent difficilement une explication. « On peut tous faire des erreurs » cite Me Raynaud.

Me Raynaud expose qu’il y a eu concertation sur les filtres dynamiques, qu’il y a eu un calendrier, qu’il y a eu formation des MERM. On aurait dû faire mieux, certes, mais c’est différents que de dire qu’il n’y a « pas eu de formation », ou une « formation mal faite ».

A propos de la vérification du travail des MERM, JA a dit qu’il était prêt, JFS ne peut estimer la véracité des dires de JA. Il avait confiance en JA. Me Raynaud fait le parallèle avec la question « avez-vous l’heure ? » à la place de « Qu’elle heure est-il ? », et la réponse de donner l’heure exacte à la place de répondre « oui ».

Me Raynaud dit que l’on a fait d’une « circonstance atténuante » une « circonstance aggravante » en disant que comme JA est seul, il fallait plus de vigilance. « Un seul physicien était une contrainte, pas un choix ».

Me Raynaud dénigre les propos de Mme Lalande qui vient à la barre, ne connaissant pas ses propres normes mais reproche aux autres de ne pas connaitre les leurs.

Sur la non-assistance à personne en danger, Me Raynaud combat l’idée que JFS ait cherché à laisser ses patients seuls et abandonnés. JFS a soigné, adressé à ses correspondants, s’est assuré que les soins étaient donnés à ses patients. Comme en première instance, Me Raynaud montre que cette notion ne dépend pas du pénal. Sur la notion de « péril imminent », Me Raynaud donne la définition de la cours de cassation. Il dit que les complications radiques ne constituent pas un péril imminent, car les effets sont tardifs. Il utilise d’autres exemples pour illustrer ses propos, et en revient finalement à la cours de cassation où la notion de péril imminent engendre un délit instantané.

Me Raynaud expose qu’on ne peut pas traiter les effets des complications, donc les reproches sont ma choisis, pas de péril imminent, donc pas de délit puisque pas de nécessité d’intervention immédiate. Il prend des exemples écrits pour illustrer. Me Raynaud demande donc la relaxe.

JFS a agi, il ne s’est pas abstenu volontairement d’agir : il a alerté, et ensuite a revu ses patients. JFS a suivi ses patients. Me Raynaud donne de nombreux exemples, comme il l’avait fait en première instance. Me Raynaud poursuit ainsi le but de démonter méticuleusement le délit d’abstention appliqué à cette affaire. Il expose également que quel que soit l’agissement , il n’y avait rien faire, « les experts l’ont dit ».

Me Temime vient compléter la plaidoirie de Me Raynaud. Me Temime dit que la relaxe de JFS est la seule application possible de la loi. Les médecins sont bien entendu redevables devant la loi, et ne peuvent prétendre y échapper sous prétexte d’être médecin. Les médecins, comme tout homme doivent répondre devant la loi. Toute idée contraire serait fausse. La loi juge uniquement en fonction du droit applicable.

Me Temime expose que le tribunal a condamné à tort, et de façon trop lourde. Il salue la façon dont les débats se sont tenus. Il dit que JFS est un médecin brisé, marié à une femme médecin. Une de ses filles est médecin également, l’autre a choisi une voie différente suite à ces évènements. JFS et sa famille sait donc très bien ce que cette profession signifie, c’est comme une vocation, comme pour un juge, comme pour un avocat…

Me Temime expose que ce qui est arrivé est le pire pour un médecin intègre. JFS est un homme dévasté. Me Temime pointe de nouveau l’extrême sévérité de Mme Lalande, et les certitudes de « ceux qui savent tout » comme pour le Dr Jean-Marc Simon qui a outrepassé sa mission. Me Temime rappelle le témoignage du Dr Delanian, disant que les radiothérapeutes ne suivaient pas nécessairement eux-mêmes leurs patients, qu’il n’y avait pas de traitement possible pour les sur-irradiations, donc qu’il n’y avait pas nécessité d’affoler les malades inutilement.

Me Temime exprime de façon très intense et émotionnelle tout le drame d’un médecin à l’origine de complication pour ses patients. L’expression très intense de Me Temime semble intéresser le Président. Me Temime dit qu’en première instance JFS a été mal jugé, mais également mal défendu. Si aucune profession ne doit être à l’abri de la voie pénale, Me Temime demande la relaxe pour JFS. Il évoque, comme en première instance, l’affaire du mont Saint-Odile et la relaxe au pénal, et la responsabilité civile de l’avionneur réfutée en appel.

Me Temime dit que la relaxe de JFS se sera pas vécue comme une victoire et ne changera rien à son état.

 

Le président donne à présent la parole aux intimés.

Jacques Sans, ancien directeur de l’ARH de Loraine, dit avoir une certaine émotion. Il s’incline devant les souffrances physiques et morales des victimes, la dignité des parties civiles, l’AVSHE et son président. C’est un drame humain. Jacques Sans est un homme décontenancé. Il souhaite que la justice passe pour que la sérénité soit retrouvée à Epinal.

 

Francette Meynard, ancienne directrice de la DASS, adresse ses pensées aux victimes. Elle dit qu’à aucun moment, elle a eu le moindre doute que les victimes seraient informées et soignées.

 

Mr Humbert, pour l’hôpital d’Epinal, exprime sa compassion et les excuses du CHJM devenu CHED.

 

Le président passe enfin la parole aux prévenus.

Joshua Anah renouvelle sa demande de pardon aux victimes. Pour Michel Aubertel, tout a été dit, il n’a rien à ajouter. Jean-François Sztermer redit que des erreurs incontestables ont été commise. Cela a été le drame des victimes, et le drame de sa vie également. Il espère que les complications vont continuer de s’estomper.

 

Il est plus de 18h30, c’est la fin de la dernière audience du procès en appel de l’affaire des sur-irradiés d’Epinal. Le délibéré sera rendu le jeudi 2 avril 2015 à 13h30.