La salle est plus remplie que la veille, environ à 30%. A Epinal, la salle est comble pour entendre les conseils des parties civiles. Il y a toujours quelques journalistes dans la mezzanine.

 

L’audience du jour :

Elle débute par l’avocate de la Ligue Contre le Cancer, constituée partie civile. Sa plaidoirie reste sur la même trame et les mêmes arguments que lors du procès en première instance. Elle dit que les soignants ont « trahi », que cela a été la plus grande catastrophe mondiale de sur-irradiation, loue l’association AVSHE, sa volonté, ses actions, son président qui a fait face aux obstacles, a mené des actes courageux, dignes, et nécessaires. La Ligne leur rend donc hommage.

L’avocate explique que la Ligue Contre Le Cancer est une association loi 1901, qu’elle joue ici son rôle, est présente pour aider la personne malade. Elle détaille le rôle de la Ligue, la lourdeur de la maladie, le cancer… et en vient ainsi aux « lacunes » qui ont conduit les patients d’Epinal à « ne pas être soignés ». Elle espère que cela ne va pas discréditer la radiothérapie, car c’est une modalité efficace.

Elle dit que les victimes avaient le choix, elles auraient pu choisir une autre modalité de traitement puisqu’on est dans le cas du cancer de la prostate, avec d’autres alternatives possibles. Elle dit donc qu’ils ont « payé leur choix par un matraquage de rayons ».

L’avocate développe à la cour ce que doit être le soin, la médecine, avec notamment tous les aspects humains que cela doit comporter. Elle souligne la négation de la médecine à Epinal en radiothérapie pour toutes les fautes caractérisées.

 

La plaidoirie suivante est celle de Me Pauline Manesse, représentant la FENVAC, Fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs (de nombreuses informations sur la FENVAC peuvent être trouvées sur Internet). Son discours est clair et limpide. La FENVAC s’est constituée partie civile dès le départ. Elle veut démontrer la responsabilité civile des personnes relaxées au pénal en première instance.

Cette démarche est pragmatique et pas du tout irrationnelle. Elle est liée à la démarche de prévention des risques, présente partout. Ainsi, la FENVAC se constitue partie civile dans de multiples affaires, comme les crashs d’avion, le stade de Furiani… La FENVAC est présente auprès des grandes Sociétés, comme Total, pour négocier avec elles et les pousser à la gestion des risques.

Elle explique que l’affaire de Rangueil (Toulouse) et celle d’Epinal sont très différentes, et précise que les prévenus ne peuvent se prévaloir de Toulouse pour exposer qu’ils doivent être relaxés. Elle explique que c’est différent  que ce qu’il s’est passé à Toulouse à la découverte de l’accident a été totalement différent. Elle explique qu’à Toulouse, c’est une erreur d’un physicien inexpérimenté dans le cadre de l’installation avec le constructeur d’une technologie extrêmement innovante, et des traitements en dose unique. Elle explique le rappel rapide de tous les patients de Toulouse, les alertes données, etc.

L’avocate expose la chronique de l’accident annoncé à Epinal, les problèmes structurels, toutes les barrières de défense ont sauté et n’ont pu palier les erreurs, et ensuite les tutelles et instances censées empêcher la propagation du risque n’ont pas joué leur rôle.

Elle demande à ce que les prévenus soient jugés pour cela. L’avocate expose que ses confrères de la défense lui ont remis seulement ce jour, à 13h28, leurs conclusions. Elle n’a donc pas eu le temps de les lire… et procède donc à sa démonstration sans connaitre le contenu des conclusions des parties adverses.

L’avocate commence par évoquer les erreurs et fautes de JA : modification du protocole, suppression de la DIV, formation défectueuse, soustraction de feuilles, entretien du silence… elle qualifie tous ces éléments qu’elle cite de fautes caractérisées.

Concernant les radiothérapeutes, elle dit que c’est « extraordinaire ». Ils « pratiquent l’expérimentation », l’escalade de dose… « ils font des actes sans contact avec leurs patients », ils « font porter le chapeau aux lampistes », ils ne faisaient pas de suivi, ils « fustigeaient les généralistes »… « les dossiers étaient vides ». L’avocate souligne le manque de courage de MA qui n’informe pas les patients, qui ne vérifie pas la compétence du physicien… sa seule satisfaction réside dans les propos de MA de la veille, lorsque ce dernier a dit, à la lecture des motifs de prévention, qu’il ne s’était pas suffisamment assuré des vérifications…

L’avocate explique qu’il est faux de dire qu’on pouvait ignorer l’assurance qualité avant 2007, puisqu’il y avait eu bien d’autres catastrophes depuis les années 1990 (l’hormone de croissance, le sang contaminé, la canicule…), et que donc les administratifs auraient dû avoir la présence d’esprit de mettre en place « le principe de précaution » de la loi Barnier de 1995.

Elle en vient à la réaction de Mme Capelli qui a accepté « l’inacceptable »lors de la réunion du 5 octobre 2005. L’avocate se demande comment un directeur d’établissement peut laisser un service fonctionner en autarcie, comment est-il possible de ne pas disposer d’un listing de patients… Mme Capelli ne fait rien d’autre que d’informer 4 patients.

Au sujet de Mme Meynard, l’avocate expose qu’elle ne fait que programmer une « réunion de débroussaillage », puis rien ensuite. « On s’en remet au discours rassurant des responsables ».

L’avocate demande à ce que le tribunal reconnaisse la responsabilité civile des administrateurs qui « ne font que se refiler la patate chaude ». Elle répète qu’elle veut simplement que le tribunal reconnaisse l’ensemble des causes qui ont engendré l’accident. Elle demande indemnisation de l’ensemble des frais engagés par la FENVAC pour son implication dans les procédures et sa présence lors des 2 procès. Elle veut une indemnisation « sur pièce », pas symbolique comme cela avait été décidé à l’issue du 1er procès. Elle remet donc pour cela son dossier au tribunal.

 

L’AVSHE est ensuite entendue, non pas par son conseil ni son président, mais par un autre de ses membres, victime de sur-irradiation. Il lit calmement son discours, néanmoins avec une certaine émotion.

Le représentant de l’AVSHE raconte que 13 hommes sont venus à la barre pour exposer « leurs souffrances, leur enfer ». 3 femmes de victimes disparues ont également exprimé leur colère, leur souffrance, leur impuissance face à la disparition de leur mari, papa et papy.

Il demande qu’on oublie les excuses « à peine audible » des prévenus, les tentatives de suicide de JFS, le malaise de JA à la barre. Il demande que les faits soient jugés, la façon dont on leur a menti, la façon dont les prévenus ont tenté de se disculper (il cite notamment la « tentative de faire porter le chapeau aux manipulateurs »).

Il en vient ainsi au « trio indissociable » (terme issu de la plaidoirie de Me Weltzer en première instance). Il cite l’ambiance malsaine, la peur des manipulateurs face aux médecins. Il fait référence aux déclarations de JFS, au fonctionnement autarcique de la radiothérapie avec l’impuissance des directions. Il cite la dérive des actes privés au détriment du CHJM. Il cite le manque de physicien, et avec tout cela, au lieu de s’ouvrir, ils se sont renfermés. Il insiste sur l’ambiance au sein du service, que le « trio indissociable » pouvait faire tout ce qu’il voulait… « survoltés par le succès de leur IMRT ».

Le représentant de l’AVSHE en vient ainsi rapidement au passage des filtres physiques aux filtres dynamiques. A propos des images de matching, il répète que les manipulateurs inquiets n’étaient jamais écoutés. Le surdosage de 400 patients aurait pu être évité par simple bon sens et par simple vérification de l’un des membres du « trio » (il cite ici les patients de la cohorte 2 en excluant ceux de la cohorte 1 eux aussi touchés par les matching).

A propos de l’escalade de dose, il dit que les patients servaient de cobaye. Il parle de « mauvaise pratique », de comportement douteux, de manque de suivi des patients. Il évoque les abus d’indications thérapeutiques (les patients traités avec des taux de PSA excessivement bas), dû aux intérêts propres des médecins.

Il évoque les « dissimulations », « falsifications », dont JA était « le bras des radiothérapeutes » puisque ce dernier a agi à la vue de tous sans se cacher.

Les suites de l’accident sont exposées : rien après les alertes, des actes médicaux contre indiqués en territoire irradié, des « pardons » du physicien trop tardifs « donc peu sincères », pas de regret des radiothérapeutes niant leurs erreurs et leurs fautes… rejetant tout sur les autres de façon systématique.

Le représentant de l’AVSHE demande de reconsidérer le cas des intimés, leurs lacunes, leurs excuses trop faciles… « Ils n’ont rien fait ». Il veut qu’on lui explique « comment le CHJM peut ne pas être responsable ! ».

Il en revient au « trio indissociable », à leur « égo », « ils étaient les chefs ». Il ne veut pas qu’on dise aux victimes qu’ils étaient au mauvais endroit au mauvais moment, le Dr Jean-Marc Simon déclarant qu’en plus de 20 ans, il y a eu seulement quelques mois de pratiques sans erreur. Il ne veut pas que l’on emploie le terme « responsable mais pas coupable ».

Le représentant de l’AVSHE termine ainsi son discours, visiblement très ému, mais en restant très digne.

 

Un autre avocat prend la suite, pour les victimes et expose plus particulièrement la fin de vie de 2 patients, âgés de 70 et 71 ans, par suite de leur traitement du cancer de la prostate. Il s’agit de de Mrs Voirin et Mr Baradel.

Monsieur Voirin choisit, sur proposition de MA, le traitement pas radiothérapie à la place de la chirurgie. Il reçoit une prescription de 74 Gy en 2005. En mai 2006, il a des diarrhées permanentes (plus de 5 fois par demi-journée, nuit comprise), des hémorragies. MA le rassure, lui dit que ces symptômes vont se dissiper d’ici 2 ans.

Mr Voirin sera par la suite hospitalisé, sondé, et devient anorexique des suites de ses diarrhées. Il est ramené à son domicile le 23 juin 2006. Il sera alité jusqu’à son décès, après une nouvelle hospitalisation à la clinique de la Ligne Bleue, 2 résections prostatiques qui provoqueront des incontinences. Il rentre chez lui et décède en septembre 2006. Sa famille reçoit en octobre 2006, un mois plus tard, une lettre expliquant l’accident.

L’avocat affirme le lien entre le décès et la suite de la radiothérapie, et a d’ailleurs gagné au tribunal administratif. Mr Voirin avait reçu 20% de dose en plus par erreur de filtre, plus 8 Gy par l’imagerie, soit 95 Gy au total (en 37 séances). Des dommages et intérêts ont été obtenus.

Pour Monsieur Baradel, cela a duré 50 mois. Il a eu des coloscopies en janvier 2006. Il a vu 8 fois MA entre janvier 2006 et octobre 2006. MA l’a rassuré, lui a dit que les effets secondaires étaient normaux… « Pourtant il savait » déclare l’avocat.

Au final, Mr Baradel a reçu le courrier d’information 1 mois avant de décéder des suites d’une fistule recto-vésicale. Il finira avec des couches, dont le coût est pris en charge par le CHJM. La morphine ne lui suffit plus, « on ne pouvait plus le toucher ». Il avait reçu 90 Gy.

L’avocat demande « comment un service de radiothérapie hautement spécialisé peut en venir jusque-là ? ».

L’avocat évoque l’IMRT au CHJM, arrêtée car le CH n’est pas un CLCC. Il parle aussi de l’égo des radiothérapeutes, « meilleurs que le CAV », « que l’Institut Curie »… « en ne respectant aucune mesure de sécurité ». Il explique que le passage aux filtres dynamiques était motivé uniquement par leur envie d’être les meilleurs.

Comme ses confrères, l’avocat raconte les faits, insiste bien qu’il ne s’est rien passé après la réunion du 5 octobre 2005, que les radiothérapeutes n’ont pas agi comme des médecins. Ils ont eu un « silence inqualifiable qui a condamné les patients ».

L’avocat expose également le problème des matching, pour appuyer sa demande de condamnation, condamnation qui « n’allègera pas la peine des patients », mais il s’agit de « faire en sorte que cela ne se reproduise plus ». Il demande de lourdes sanctions, que la cour confirme le 1er verdict.

 

Après la pause, un autre avocat est entendu pour le compte de certaines victimes afin d’obtenir indemnisation par reconnaissance des fautes civiles. Il dit que cela n’a pas été le cas en première instance, et que le « tribunal s’est fourvoyé ».

L’avocat va faire la démonstration que le présent tribunal est compétent pour juger ces fautes (au civil). Il évoque nominativement un des patients de MA à qui ce dernier ne dira rien.

L’avocat émettra également de lourds reproches envers Mr Sans pour ses manques d’action.

L’avocat intervient aussi pour une autre victime, Mr Barlier, qui ne s’est pas constitué partie civile pour la procédure d’appel, car au moment où il fallait le faire, sa femme était malade. Il a aujourd’hui 74 ans, est « quasi impotent », et ne peut donc pas obtenir en appel des dommages et intérêts pour les fautes civiles commises. L’avocat raconte tout de même son histoire, pour évoquer notamment les fautes des divers administratifs.

 

L’audience de ce jour se termine à 16h. La suite du procès reprendra le mercredi 10 décembre par la plaidoirie de Me Weltzer.